mardi 25 mars 2008

La leçon (ratée) de géographie, l'élève aigri et le prof vexé


Bonjour tout le monde,


Aujourd'hui, j'ai vécu un rite de passage supplémentaire de l'enseignant: l'inspection. Mercredi dernier, la proviseur vient gentiment me prévenir que...oh surprise, j'allais être inspecté le 25 mars, et ce, avec ma classe de terminale (mentionnée précédemment dans ce blog). Le moment de totale surprise passée, je me raisonne: depuis trois ans dans le métier, après avoir court-circuité l'IUFM par la fac, il fallait bien que ça arrive. Après une rapide recherche sur le web, je découvre que l'inspectrice est 1) une géographe, 2) une partisane résolue des nouvelles technologies...Votre serviteur se limite au visionnage de quelques vidéos ou DVD et à l'usage du traitement de texte et est surtout férocement historien. Cela signifie que la bivalence forcée que la tradition nous impose ne m'a jamais convaincu ni même séduit. Je fais faire de la géographie aux élèves en essayant de ne pas trop jargonner et en leur faisant passer quelques trucs simples. La subtilité profonde de certains croquis géographiques me laisse de marbre.

Le jeudi, conseil de classe des terminales sans histoire. Tout le monde se félicite du meilleur climat qui règne depuis l'exclusion des 3 lascars sus-mentionnés. Incidemment et sans que j'y pense vraiment, le prof de philo et moi nous opposons au fait que Le Gazier obtiennent des "encouragements". Je dois vous expliquer que notre cour, sans appel, délivre chaque trimestre, des gratifications symboliques sans la moindre conséquence concrète mais qui font plaisir aux élèves: il y a les encouragements (élève-méritant-qui-a-des-difficultés-mais-qui-fait-des-efforts), les compliments (c'est-bien-continue-et-ce-sera-très-bien) et bien sûr, les félicitations (pourquoi-ne-sont-ils-pas-tous-comme-toi)...La règle d'or de la diplomatie scolaire, consiste, lorsqu'un consensus semble se dessiner pour accorder une de ses gratifications, à vérifier, selon la formule consacrée, "qu'aucun collègue ne s'y oppose" (la dite "opposition" est aussi ferme que la position française face aux exactions chinoises au Tibet). Le Gazier (il m'a demandé un jour en classe "mais monsieur, c'est quoi le...gaz naturel?" j'ai compris que pour lui, tout élève de S qu'il était, le lien entre un gisement de gaz naturel au Kazakhstan et la cuisinière au gaz familiale n'était pas du tout clair...) méritait des "encouragements" selon nos collègues de maths & physique...mais franchement avec 3 en philo et 6 en histoire, fallait pas exagérer. Nous avons donc mis notre veto.

Arrive ce matin, 8h, moi, tendu comme un slip de moine, rapport à cette inspection à venir. Le Gazier devant la grille de l'établissement, "Ouais M'sieu, pourquoi VOUS vous êtes opposés aux encouragements pour moi?", et moi "Ecoutez, je ne sais plus, et puis en plus, enfin 6 en histoire quand même..." Bref, sensation d'un juge confronté à un justiciable juste condamné, sensation désagréable d'avoir à justifier une appréciation forcément un peu subjective.

A 15h, un peu pâle, j'accueille Mme l'inspectrice et Mme le proviseur (surprise du chef) dans ma classe. J'ai passé le week end de Pâques à bûcher une leçon de géographie maladroite sur "L'Asie Orientale" et j'ai construit un truc lourd mais bien rempli sur les inégalités régionales qui se termine par ce qui me semble une magnifique "mise en activité" des élèves: une sous partie sur la méthode du croquis géographique à l'épreuve de bac (thème essentiel que j'ai un peu maltraité depuis septembre) avec en illustration évidemment l'Asie Orientale "unité ou diversité?" (appréciez comment l'historien peine à élaborer une problématique géographique). Le cours se passe correctement 20 min, les élèves sont attentifs, j'arrive à faire sourire mes 2 invitées avec de la dérision facile. J'ai très chaud mais je me dis "déjà 20 min!".

Et là Le Gazier, l'air de rien, lève le doigt:
"M'sieu?
-Oui (inconscient du piège qu'on me tend perfidement)?
-Votre Grand 2 là (II) il ne correspond pas avec ce que l'on a déjà écrit dans le cahier, on a déjà un Grand 2 dans le cahier..."
Moi blême, "oui bon, bah, c'est une erreur, c'est un grand 3 (III) et puis c'est tout..."
Eh oui, j'avoue ma turpitude: rédigeant une thèse en parallèle de mon activité de prof de lycée, il m'arrive...d'improviser un peu le cours devant les élèves (surtout de la géo) et donc forcément les titres et le plan ne correspondent pas toujours. Je vois avec horreur Mme l'inspectrice qui inspecte attentivement le cahier de La Bavarde Du Fond et dont les hochements de tête significatifs semblent valider l'acte accusatoire de cette enclume de Gazier. C'est un cauchemar.

Loin de moi l'idée de suggérer que le Gazier est responsable de ma mauvaise prestation. Le cours n'était pas bon, "l'activité de carte" était ratée, ma carte vilaine et pas claire et la "séance" trop chargée pour donner de bons résultats pédagogiques. Ca m'apprendra à improviser (et mal surtout) en géographie alors que des inspectrices géographes attendent au coin du bois. Evidemment le fait que mon collègue Le Barbu Centriste (rapport à sa pilosité faciale et son bayrouisme pénible) ait banni la géographie de son enseignement de 2nde et de 1ère, au mépris des programmes, me laisse un peu sur les fesses.
L'entretien a été un peu pénible. La dame sympathique m'a aligné avec une certaine condescendance "on voit tout de suite que vous êtes historien", traitement que j'avais, il faut le dire bien mérité. ça a commencé par "il existe des stages pour perfectionner votre pédagogie" et ça s'est fini par "vous avez beaucoup à apprendre encore".

Autrement dit une bonne claque dans la gueule. Je suis vexé évidemment. La pensée des supplices que je pourrais imposer au Gazier ne me consolent guère. Va falloir être plus sérieux!

Le prof

PS: niveau contestation, alors que le Recteur sacque 640 postes en septembre prochain, je participe à la grève de l'Académie jeudi. Nos collègues des "dispositifs" Sciences Po nous soutiennent, ça fait plaisir!

mardi 19 février 2008

Le recteur, le braqueur et un conte de la vraie lâcheté





A l'Education Nationale, j'apprécie beaucoup de ne pas avoir de véritable patron, tâtillon, casse-couilles, qui viendrait surveiller chaque jour que j'ai bien fait mon travail. Une fois de tant en tant, il nous est toutefois donné de rencontrer le recteur. Si Darcos est notre Dieu, alors nous autres pauvres créatures du 9-3, mais aussi du 9-4 et du 77, devrions nous prosterner devant cet homme comme devant St Pierre, et mes collègues d'histoire devant cette femme comme devant la Bonne Mère...Evidemment c'est un peu exagéré, mais je suis d'humeur théologique ces temps-ci, peut-être le fait d'avoir terminé le rude cours sur la Réforme avec les Secondes?
Aujourd'hui mardi, au lieu d'aller trimer avec mes collègues au lycée, j'ai eu le droit, vu que j'avais montré un intérêt certain pour la justice, d'aller à un colloque toute la jo
urnée organisée à l'Université de Marne La Vallée. C'était extrêmement intéressant, il y avait nombre de magistrats de Seine St Denis et du Val de Marne aux prises avec des difficultés comparables aux nôtres et tout aussi intéressés par les moyens de faire connaître la justice aux gamins et "former à la citoyenneté"...

Franchement, j'attendais cette opportunité de sortir du lycée. La semaine précédente, une collègue m'avait copieusement insulté...Nous participions tous deux à un "
conseil de vie scolaire" sorte de grande cérémonie de flagellation pour un élève particulièrement désagréable...mais pour lequel nous n'avons assez d'éléments pour le présenter au "conseil de discipline" au cours duquel il risque d'être effectivement éjecté du lycée. Notre client, appelons-le Jojo (c'est clairement un affreux) nous gonfle depuis le début de l'année. Physiquement Jojo est un peu grassouillet, il a 20 ans...en Terminale et redouble. Jojo ne fait rien en classe si ce n'est bavasser avec Pois Chiche ou jouer avec son I-Phone (Jojo a des sous). Jojo perturbe le cours, exaspère les profs de toutes les mgatières et n'a même pas daigné retirer ses livres gracieusement prêtés pour l'année par le CDI. Seulement Jojo n'est pas complètement stupide et il lui arrive d'intervenir intelligemment dans mon cours contrairement à son copain la Teigne (celui qui m'a menacé). Au conseil de vie scolaire, Jojo regarde ses baskets, s'énerve et est d'une mauvaise foi incroyable. Il est venu avec son grand-père et l'on apprend presque fortuitement que Jojo est depuis peu orphelin. Il en prend plein la gueule pendant le tour de table et si nous avions été au 16ème siècle, ma collègue de maths, la plus véhémente, aurait allumé le bûcher dressé par mon collègue de physique.
Parlant en dernier, j'exprime également mon exaspération pour Jojo mais il me prend de modérer mon propos en soulignant à quel point je regrette que notre client soit dans une telle ornière alors que manifestement il aurait pu? pourrait? faire quelque chose de correct de sa "carrière" scolaire. Sur ce, 14h sonne et je quitte la salle avant l'admonestation finale ("faites vous tout petit, sinon..."). A 16h, pause en sall
e des profs, j'exprime à ma collègue de maths ma satisfaction devant la tenue de cette cérémonie; la voici qui plisse les lèvres de mépris et me déclare "franchement, je t'ai trouvé un peu lâche, tu te plains tout le temps de Jojo et alors quand il faut dire ce qu'on en pense, tu te dégonfles". Vous imaginez ma réaction...Au départ, se faire maltraiter par une prof de maths ne réveille jamais chez moi de bon souvenir, mais là, en plus il y a insulte. Je lui réplique qu'elle peut être en désaccord mais que franchement faudrait pas voir à me chercher trop dans les coins avec des mots blessants...Une ambiance délicieuse.

Donc je profitai bien de la journée de colloque. Je ne pensais
plus trop à la grève régionale, et d'un jour, de vendredi, autant dire la grève très conne du SNES que j'avais quand même faite pour protester contre les 640 postes supprimés dans l'Académie à la rentrée 2008, une décision tout à fait assumée par notre grand manitou. Le manitou en question tout de même prêt à ré-embaucher des retraités pour boucher les trous des vacataires que son prédécesseur a jeté comme des malpropres il y a quelques années. Je ne pensais plus trop non plus au merveilleux Michel Foucault et à son analyse de la parresiâ, le "parler-vrai" qui consiste à dire la vérité à un puissant quelles qu'en fussent les conséquences.

A la fin du colloque, le manitou se re-pointe et commence à no
us débiter un grand blabla cosmique, son "projet d'académie" jusqu'en 2011...Un truc mémorable, une symphonie au pipeau! A base de "savoir, solidarité, équité", déclinés en couleur dans le "temps et l'espace" sur un petit dépliant très joli.
Je me dit "Vas-y!", "Dis-le", "Parle-lui des 640 postes"! J'aurais aimé avoir les cojones de me lever devant 200 personnes et gueuler un truc du style "Monsieur le Recteur comment allons nous mettre
en oeuvre ce merveilleux projet avec 640 postes en moins dès la rentrée prochaine?" ça ça aurait été une belle parresiâ, un truc à réveiller Michel!

J'ai rien dit, je me suis tu lâchement. Vendredi, j'ai perdu
80 euros pour une grève de merde et quatre jours plus tard malgré la présence d'un des principaux responsables de ce merdier, rien...Je l'ai laissé débiner son pipeau sur l'éducation à la citoyenneté, à la justice, au respect des règles et au vivre ensemble, etc, etc...

En sortant, j'ai vu une agence Société Générale enfoncée. Des bandits avaient jeté sur le distributeur en façade une Jeep qui était salement amochée et qu'un groupe de policiers écartaient du trottoir. C'était presque comique: on aurait dit que le 4x4 avait rebondi sur le distributeur qui n'avait (peut-être?) rien cédé...Tout s'est mis à tourbilloner. J'ai repensé au procureur adjoint de Bobig
ny expliquant qu'un quart des vols à main armée de sa juridiction sont l'oeuvre de mineurs, j'ai repensé à Jojo, à Pois Chiche, à la Teigne et à ce putain de recteur, agrégé et docteur en droit mais surtout spécialiste en pipeau sarkozyste.

Je me sentais vraiment mal. Le soleil déclinait, il faisait froid et sec et j'ai vu alors la grande sculpture de Pierre (Piotr?) Kowalsky un peu plus loin:

et j'ai soudain eu la certitude que je finirai empaler sur cette pointe terrifiante pour n'avoir pas dit la vérité au grand manitou, à cet adversaire, ce danger, ce grand bonimenteur sarkozyste. L'image des châtiments chez Bosch est devenu absolument incontournable pour venir sanctionner ma lâcheté.

Terrifié, j'ai regagné le RER en pensant à ce que je devrais faire pour éviter à mes élèves de devenir ou recteur de droite ou braqueur de banque...

Le prof

PS: j'apprend ce soir que 3 éléments des plus nocifs de notre classe de Terminale ont été définitivement exclus. Je ne m'en réjouis pas mais peut-être cela nous laisse-t-il une chance pour les autres?

lundi 28 janvier 2008

Un mot dans mon casier, a word in my box

Bonjour tout le monde.
Janvier tire à sa fin et je n'ai pas écrit depuis longtemps. J'avoue que le retour de vacances a été brutal...Le lycée a retrouvé sa routine, les élèves sont revenus dans les mêmes dispositions qu'avant Noel. Pour ma part, j'essaie d'être un brin plus organisé et rigoureux. Début janvier, les secondes devaient me rendre un devoir dans lequel ils devaient décrire un tableau de la Renaissance. Ceux qui ont compris s'en sont bien sortis d'autres ont trouvé le moyen de me parler du portrait de Louis XIV ou d'un tableau symboliste de la fin du XIXème siècle...ou de recopier l'article "Joconde" de Wikipedia. J'ai décidé en 2008 d'être intransigeant et draconien tant avec les étourdis, les plagieurs (ça se dit?) qu'avec les inattentifs.
Une élève, très timide en classe, avait oublié son devoir, j'ai donc mis un zero, le lendemain, elle a mis son devoir dans mon casier avec ce mot que je me permets de reproduire ici, in extenso:

"D'une part je me permet de clarifier un détail: j'ai fait mon devoir pendant les vacance mais je l'avais seulment oublier dans mon livre d'histoire. Merci de bien vouloir me croire.
Et d'autre part, dans votre élan de générosité de bien vouloir corriger mon devoir.
PS: Je dis la veriter "purement et simplement".
Je vous prie de bien vouloir accepter mes sin-
èrent salutations les plus distinge."

Hello everyone,
January is almost finished and I haven't written much. I have to say that coming back from vacation was brutal! Things are going well, kids are back pretty much in the same spirit they were before Christmas. Myself, I try to be a little bit more rigorous and organized. Earlier this month, the tenth graders were supposed to write me a short essay on their chosen Renaissance painting. They did reasonably well for those who understood what it was all about; one described a portrait of Louis XIV and had the guts to tell me she read on the web that it definitely was Renaissance even though it was done in the 1670s; another one just preferred to write about 19th century symbolism...I don't count a-not-very-bright-kid who thought he could just copy the whole "Joconde" article from wikipedia.org...as if the teacher had never heard of wikipedia...
In my box, in the teacher's room, I found a letter with the essay of a timid young 10th grader, it read like that (however, the original broken French with its mistakes and curious attempts to mimic polite formulas is hardly translatable) :

"Sir,
On the one hand I wish to clarify a detail: I did do my essay during vacation but I had only forgoten it in my history textbook. Please believe me.
On the other hand, as you are veri generous please grade my essay.
PS: I tell the trouth purly and simply.
Salutation."